En 1983, le Costume Institute du Metropolitan Muséum of Art consacrait une rétrospective à Yves Saint Laurent. Celui qui a rendu hommage, tout au long de sa carrière, aux peintres qu’il admirait devenait ainsi le premier couturier dont le travail été exposé dans un musée, de son vivant. Aujourd’hui, ce sont deux musées qui lui sont consacrés, à Paris et à Marrakech, ouverts par la fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent en octobre 2017. Le parcours inaugural du musée parisien, qui se visite jusqu’au 09 septembre 2018, présente les oeuvres phares du couturier et nous interroge sur leur influence au sein de la société.
Devant l’hôtel particulier du 5, avenue Marceau, dans le 16 ème arrondissement de Paris, c’est une foule compacte et élégamment vêtue qui attend. Ça semble tout indiqué pour le lieu. L’immeuble a abrité, de 1974 à 2002, la maison de haute couture de Pierre Bergé et Yves Saint Laurent. Depuis le 03 octobre 2017, la fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent y a ouvert un musée consacré au travail de celui qu’on a surnommé le « petit prince de la mode » parce qu’il était devenu, en 1957, le directeur de la maison Dior, à seulement 21 ans.
Le parcours inaugural du musée (qui se visite jusqu’au 09 septembre 2018) propose une retrospective chronologique et thématique de l’oeuvre de Saint Laurent. C’est simple et efficace. Après un film introductif qui résume la carrière et les succès d’Yves Saint Laurent, la visite se poursuit par une présentation des pièces emblématiques du créateur. Les vêtements choisis sont magnifiques et représentatifs du style Saint Laurent, qui allie simplicité, élégance, et liberté. La scénographie, épurée, met en valeur toutes les influences du couturier : vestiaire masculin, peintres qu’il admirait, périodes historiques, et voyages, réels ou imaginaires. Sont présentés, entre autres, la fameuse « robe Mondrian » et, le premier des nombreux smokings créés pour les femmes par Yves Saint Laurent, évidemment.
Les visiteurs qui sont désireux de plonger plus avant dans l’intimité du couturier ne sont pas laissés pour compte. L’atelier de l’artiste se visite. Il est mis en scène comme lorsque Yves Saint Laurent y travaillait : sur le bureau, ses lunettes et, à côté de la chaise, la gamelle de son chien. On s’attendrait presque à la voir entrer dans la pièce, revenant d’une pause déjeuner, ou bien du bureau de Pierre Bergé, installé de l’autre côté du couloir.
Le bureau de Pierre Bergé pourtant ne se visite pas. Il a été aménagé en salle de projection où un film retrace les biographies croisées des deux hommes. C’est dans cette salle qu’on peut mesurer toute la portée du travail d’Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé. C’est devant les images d’archives de la vie de ces deux hommes qu’on comprend qu’il y a deux façons de visiter le musée Yves Saint Laurent :
On peut penser que la collection inaugural du musée présente des bouts de tissus assemblés avec génie. On peut en rester là, et se dire que Yves Saint Laurent était un créateur talentueux, et que Pierre Bergé était un homme d’affaires doué. L’immeuble est beau, l’exposition est agréable et la boutique du musée propose des livres interessants. On peut même en acheter un, qui nous sera remis emballé dans un élégant sac en papier, griffé du nom de Saint Laurent. On aura passé une bonne après-midi. En rentrant chez soi, on pourra alors placer le livre dans sa bibliothèque avec satisfaction parce que on aura « fait » le musée Yves Saint Laurent.
On peut aussi voir au delà. À l’ouverture de la maison de couture, en 1961, le couple formé par Pierre Bergé et Yves Saint Laurent est assumé. Pour l’époque, on peut raisonnablement penser que la démarche était moderne. Ce n’est pas tout. Yves Saint Laurent a été le premier à faire défiler des mannequins de couleurs et à puiser dans le vestiaire masculin pour donner aux femmes des vêtements confortables, qu’elles ne pouvaient pas porter avant : le pantalon, le caban, le trench-coat, la saharienne et la combinaison. Il a mis son génie au service de la libération de celles qu’il habillait. En voyant toutes ses pièces réunies et en se penchant sur le parcours d’Yves Saint Laurent et de Pierre Bergé, on se demande si l’ADN de la maison Yves Saint Laurent n’était pas seulement l’élégance, et la simplicité, mais également la liberté et le progrès ? Après tout et, de l’aveux d’Yves Saint Laurent lui même, son seul regret était de ne pas avoir inventé le jeans.