Diantre, je ne sais pas ce qui m’arrive …
Je préfère à Brad Pitt son homonyme, Michael Pitt, icône du cinéma indépendant américain des années 2 000. J’aime bien les films de Xavier Dolan, mais je vénère Quentin Dupieux, plus confidentiel et barré. Orelsan me fatigue, je le trouve nettement moins subtil que Fuzati, le MC du Klub des Loosers. Mon street-artist favori n’est pas Banksy mais le collectif The Rats, des mecs tellement underground que tu ne vois leurs oeuvres que dans les Ktas.
Bref, je suis la parfaite caricature de la parisienne hype. Alors, écouter un chanteur populaire, ce n’est vraiment pas mon truc, sauf quand personne ne me regarde …
Et pourtant, je suis tombée en amour pour le travail de Julien Doré. Comme à peu près quoi ? Les 3/4 des français ? Je n’en reviens toujours pas.
J’avais 17 ans lorsque Julien Doré a gagné la nouvelle star. À l’époque, je travaillais les textes de Wajdi Mouawad pour mon bac théâtre. Didier Super et Kim Gordon étaient mes idoles. Regarder un télé-crochet ? Très peu pour moi. J’avais quand même particulièrement accroché avec la reprise de Moi Lolita parce que je trouvais ça complètement décalé et beau, tout simplement. Ce grain de voix particulier, posé sur un texte écrit à l’origine pour une adolescente. Cet homme qui assume sa part de fragilité. C’était électrisant.
Oui, du travail de Julien Doré, j’aime tout.
Son univers est suave et enveloppant, à l’image de sa voix. Celle-ci est également rauque, comme pour souligner que les textes ont beau être joliment écrits, les sujets choisis sont souvent tristes. Écouter la musique de Julien Doré, c’est un peu comme s’enrouler dans un plaid, un jour de pluie. Ça réchauffe, ça apaise et, ça fait du bien.
Je parle de son univers parce que, Julien Doré n’est pas simplement un interprète. Il est aussi auteur-compositeur de ses chansons et co-réalisateur de ses clips. Il est également directeur artistique, c’est à dire qu’il a par exemple conçu la pochette de ses albums mais aussi la scénographie de ses concerts.
Il joue le décalage et la surprise et transforme chacun de ses clips, toujours soignés, en une friandise visuelle. Quand il ne joue pas les babtous fragiles dans un clip à l’esthétique kitsch années 80, sorte de parodie géniale de Fame, où l’on croise Catherine Deneuve en jogging doré, il se balade dans l’immensité de la nature sur une mini moto. Lorsqu’il n’est pas occupé à se dandiner dans le costume d’un panda façon karaoké kawaii, il se promène au bord d’un lac avec Pamela Anderson ou s’affiche avec des poneys shetlands. Julien Doré sait être là où on ne l’attend pas et, là où personne ne va, par manque d’inventivité.
Il a de l’humour et de l’esprit. Ça m’a toujours fait craqué, l’humour et l’esprit. C’est le duo gagnant, un peu comme le houmous et le concombre. Sur twitter, je suis quelques personnes juste parce que leurs tweets sont mordants et me font sourire. Julien Doré en fait partie. Dans une société où la majorité se prend très au sérieux, une touche d’humour c’est salvateur.
Autodérision, ça pourrait d’ailleurs être le deuxième prénom de Julien Doré, comme en témoigne son travail en tant qu’acteur. Son apparition dans la comédie Ensemble nous allons vivre une très très grande histoire d’amour, de Pascal Thomas, était une chouette performance. C’est qu’il en faut, du recul et de l’espièglerie, pour accepter de se mettre en scène soi-même dans le rôle d’un type obsédé par la réalisation d’une comédie musicale érotique sur le thème végétal, comme il l’a fait pour la série Dix pour cent, créée par Fanny Herrero.
Il est touchant. Je ne connais pas monsieur Doré en privé. Il est peut être très loin de l’image qu’il donne à voir aux médias. Mais, ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est que son personnage public est humble, élégant et poli. Ça fait du bien, dans le paysage médiatique français. Julien Doré n’a pas peur de se montrer vulnérable, ce qui donne beaucoup de grâce à chacune de ses apparitions. Il admirait Jean d’Ormesson et, pour lui rendre hommage, il a lu sur France Inter un très beau texte de l’auteur. Ces quelques phrases, parce qu’il les lit en toute simplicité et avec une émotion certaine mais retenue, vous collent des frissons. Il a l’air tellement humain, authentique et sincère qu’on ne peut qu’être touché et admiratif.
J’ai assisté à son premier Bercy, parce que je voulais voir ce que ça donnait, Julien Doré sur scène. Pour être tout à fait honnête, ce qui m’a transporté, ce n’est pas tellement la musique mais l’authenticité de son interprétation. Il y a ce mec, qui termine une tournée triomphale, dont le dernier album est triple disque de platine, il n’a plus rien à prouver. Et malgré cela, il y a ce moment où il se tient debout sur le bord de la scène, avec son ukulélé. Il est tout petit, dans l’immensité de la salle. En face de lui, 18 000 personnes. Tu sens qu’il est ému, qu’il n’en revient pas lui même, qu’il est timide, à la base, ce garçon et, il y va quand même, avec cette fabuleuse énergie de ceux qui se dépassent.
Il y a quelque chose d’enfantin chez Julien Doré. Dans le clip de son tube Coco Câline , il apparait déguisé en Panda. Lorsque les premiers accords de la chanson ont retenti dans l’enceinte de Bercy, tous le monde n’attendait qu’une chose : l’arrivée du panda sur scène. Dès qu’on l’a aperçu, la salle a été prise d’une vague d’hystérie. Et moi, l’éternelle cynique, celle qui ne fait jamais rien comme les autres, je me suis retrouvée avec des étoiles plein les yeux, et un grand sourire aux lèvres, comme une gamine. J’étais juste contente d’être là, et de me laisser aller à la joie de reprendre le refrain de la chanson, en regardant une mascotte de Panda se dandiner sur scène. C’était magique, de retomber en enfance aussi simplement.
Julien Doré met une sacrée claque à mon personnage bien travaillé de pétasse condescendante. Il me remet les pieds sur terre et me rappelle que l’humilité et l’autodérision sont indispensable à notre humanité et, c’est tellement bon !
Tout le problème est de s’élever, de se distinguer, sans se séparer des autres hommes – Jean D’Ormesson
Crédit photo : Julien Doré by Kmeron (sa page Flickr). Photo non modifiée et sous licence Créative CommonsAttribution-NonCommercial-NoDerivs 2.0 Generic (CC BY-NC-ND 2.0).